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Ecrire des lettres pour faire face à l’isolement

L’association Les Lettres Perdues, lancée par l'étudiante rouennaise Lisa Machard, propose d’échanger de manière anonyme des lettres avec des inconnus.

©Oleg Magni - Pexels

C’est l’un des paradoxes de la crise sanitaire : si elle engendre des situations difficiles, elle nous prive aussi de lieux où nous confier. Puisqu’il n’est plus question de s’épancher au bistrot, pourquoi ne pas le faire par écrit ? C’est le parti qu’a pris une jeune étudiante rouennaise, Lisa Machard, qui a créé début décembre Les Lettres Perdues.


L’association met en relation des inconnus pour qu’ils correspondent par lettres de manière anonyme. « Les lettres créent du contact entre les gens », estime l’étudiante en biologie. Dans le quotidien parfois monotone de nos vies confinées, recevoir une lettre chez soi constitue aussi un « événement excitant, poursuit la jeune femme. C’est quelque chose de concret, qu’on peut toucher, qu’on peut lire, et surtout qui va durer dans le temps. » Retrouver, dans une quinzaine d’années, les lettres envoyées par un inconnu pendant cette étrange période : voilà qui ferait un meilleur souvenir qu’une boîte de masques FFP2 usagés.


Une initiative suivie à la lettre


L’idée trottait dans la tête de Lisa Machard depuis quelque temps : enfant, elle avait pour habitude de correspondre régulièrement par lettres, ce qui lui a donné le goût de l’écriture et de la lecture. Lorsque le premier confinement a été décrété, elle a cherché des associations proposant des échanges épistolaires. La pratique de correspondance avec des prisonniers avait par exemple inspiré l’association 1 lettre 1 sourire, qui proposait d’écrire à des résidents en Ehpad à l’époque où il était impossible de leur rendre visite.


Mais Lisa Machard a innové pour instaurer un principe qui lui tenait à cœur : garantir à ses membres que leur correspondance restera anonyme. Le principe est aussi simple que sécurisé : les adhérents postent leur lettre vers une boîte louée par l’association, qui s’occupe ensuite de les rediriger vers leurs réels destinataires. « Il me semble que garantir l’anonymat à ceux qui écrivent leur permet de mieux se confier, estime Lisa Machard. Ils pourront ainsi écrire des choses qu’ils n’oseraient pas dire à leurs proches par téléphone ». Lancée début décembre, l’association ne compte pour l’heure qu’une vingtaine de membres, mais Lisa Machard ne doute pas que le nombre va bientôt augmenter : « Les participants n’ont rien à perdre, et tout à gagner », estime-t-elle, pointant le sentiment croissant de solitude en France.


7 millions de personnes isolées


Preuve que les nouvelles technologies de communication ne pallient pas tout à fait le manque de contact humain, le 10ème rapport annuel de la Fondation de France estimait en décembre que l’isolement relationnel des Français était en forte hausse. Selon l’enquête menée par la Fondation, sept millions de personnes, soit 14% de la population française, se décrivaient comme isolées. À titre de comparaison, elles n’étaient que 9% en 2010.


Une correspondance épistolaire peut alors à la fois créer du lien entre personnes isolées, et avoir un impact positif sur le moral. Plusieurs psychologues pointent en effet le fait qu’écrire, et d’autant plus à la main, pouvait s'assimiler à une pratique thérapeutique : c’est ce qu’ils appellent le “courrier-thérapie”. La thérapeute Elisabeth Horowitz expliquait au média Psychologies que la pratique épistolaire est un « acte symbolique [...] facile à mettre en œuvre, efficace et gratuit ». Selon ses observations, rédiger des lettres apaiserait des symptômes tels que l’état dépressif, les crises d’anxiété ou encore les douleurs chroniques. Il y aurait trois raisons à cela : formuler clairement un ressenti permet d’entamer un diagnostic d’une situation psychologique difficile ; le coucher par écrit implique un engagement plus important que de le formuler à voix haute ou de le taper au clavier ; enfin, savoir que ses mots sont destinés à quelqu’un plutôt qu’à un journal intime nous permet à la fois de créer un lien fort avec une personne et de prendre du recul sur les émotions que l’on a analysées.


« Surtout, ajoute Lisa Machard, une lettre permet de raconter beaucoup plus de choses qu’un SMS, qui est plus court, plus ordinaire, et dont on sait qu’il finira par s’effacer ! » La jeune étudiante fait partie de ces personnes plus à l’aise pour s’exprimer à l’écrit qu’à l’oral. Son attrait pour ce format singulier n’est d’ailleurs pas nouveau : dans sa jeunesse, elle ne lisait que des romans épistolaires.


Pour celles et ceux qui souhaitent participer à l’association, la lecture de romans comme Le cercle littéraire des amateurs d’épluchure de patates d’Annie Barrows et Mary Ann Shaffer, ou les plus classiques Lettres persanes de Montesquieu, pourrait constituer une première étape. Et pour ceux qui seraient déjà prêts, il n’y a qu’à se rendre sur le site ou la page Facebook de l’association Les Lettres Perdues pour se lancer dans l’aventure.


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