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Privés d’expéditions, les égyptologues français investissent le web

Alors que les découvertes archéologiques se succèdent en Égypte, les égyptologues français rongent leur frein, coincés en France. En attendant de pouvoir repartir, ils compensent le manque de terrain par de la collaboration interactive.

Des archéologues égyptiens fouillant un site sur la nécropole de Saqqara au sud Caire, le 17 janvier. (crédits KHALED DESOUKI / AFP)


Exit les deux mois et demi de fouilles prévus dans la vallée de l’Assassif, près de Louxor. Pour Frédéric Colin et son équipe, il faudra encore patienter avant de fouler les terres égyptiennes. « En 2020, nos billets d'avion pour partir en novembre en mission étaient déjà achetés quand le second confinement et les complications pour le transport (tests PCR, etc.) ont été mis en place. Par conséquent, le responsable sécurité-défense de notre université a retiré notre autorisation de départ », raconte le directeur de l'Institut d'égyptologie de l'Université de Strasbourg. La mission, comprenant une équipe d’une trentaine de techniciens de fouille ainsi qu’une dizaine de techniciens scientifiques, est reportée à une date indéterminée.


Le cas de l’Université de Strasbourg est loin de faire exception. « De nombreuses instances françaises sous tutelle de l’Etat ont demandé à ce que leurs agents ne partent pas à cause du Covid », explique Guillemette Andreu Lanoë, égyptologue et directrice honoraire du département des antiquités égyptiennes du Louvre. Il y a toutefois des exceptions : « Pierre Tallet [président de la Société française d'égyptologie, ndlr], qui a fait des découvertes formidables sur la mer Rouge, a quand même pu faire sa mission à l’automne. » Mais le travail de terrain reste largement entravé et ce, même pour les équipes déjà sur place. « Je sais que l’IFAO, Institut français d'archéologie orientale, qui est une grande école française en Égypte, est confinée en ce moment », ajoute l’égyptologue.


En 2020, des découvertes essentiellement égyptiennes


Une situation d’autant plus frustrante que les trouvailles archéologiques se sont succédé ces derniers mois dans le pays. Pas plus tard que dimanche dernier, les autorités égyptiennes ont annoncé des « découvertes majeures » dans la célèbre nécropole de Saqqara, au sud du Caire. Parmi les nombreux trésors recensés figurent notamment un temple funéraire vieux de plus de 2500 ans, une cinquantaine de sarcophages accompagnés de statues de divinités ou encore un papyrus de quatre mètres de long que l’on peut apercevoir dans cette vidéo du Parisien.

Mais les égyptologues français n’ont pas dit leur dernier mot. « Ce n'est que partie remise ! argue Frédéric Colin. Le site nous a attendus plusieurs milliers d'années, nous ne sommes plus à un an près. » En attendant de pouvoir repartir, ils ne chôment pas. « L’essentiel du travail d’un égyptologue scientifique - c’est-à-dire publiant dans des revues scientifiques - se fait plutôt devant son ordinateur pour construire des démonstrations », relativise le directeur de l'Institut d'égyptologie de l'Université de Strasbourg. Cette situation temporaire ne nous a pas posé de problème majeur, à part la frustration de ne pas aller produire de données brutes sur le terrain cette année. »


L'égyptologue estime même que le Covid a permis aux chercheurs de « gagner beaucoup de temps » pour avancer sur leurs publications. La fermeture des bibliothèques engendrée par les confinements successifs les a cependant obligés à se réinventer pour être moins dépendants des ouvrages uniquement accessibles dans ces lieux.

Open access et publications dématérialisées

Résultat, Frédéric Colin a décidé d’innover en publiant certains de ses travaux directement sur les réseaux sociaux et sur un site Internet dédié. Le but : combiner des données à comité de lecture (issues de revues), « garantes de qualité mais aussi lentes”, et des données de terrain encore chaudes. Cela « permet d'aller plus vite et de publier des données extrêmement précieuses et intéressantes pour la communauté scientifique », souligne-t-il.

Durant le premier confinement, l’enseignant à même publié un article de référence grâce au travail de ses étudiants lors d'un examen à distance : « avec mon aide, ils ont mieux traduit certains passages du texte qu'une série de chercheurs prestigieux encore en activité. » Dans la foulée, il publie un article dans son « Carnet de laboratoire » et, quelques mois plus tard, celui-ci est cité parmi les traductions de référence dans un prestigieux manuel de l'Université d'Oxford. « Une diffusion si rapide d'un résultat de recherche d’un manuel de référence, n'arrive jamais, précise le professeur d’égyptologie. Or, sans les conditions épidémiques actuelles, je n'aurais jamais pris le temps d'écrire un article au départ d'un exercice pour un examen de deuxième licence…»


La crise sanitaire a ainsi permis de révéler l’importance de l’open source (l’accès libre) et des publications dématérialisées. Si Guillemette Andreu Lanoë partage l'engouement de son collègue, celle-ci espère que les jeunes générations d’égyptologues iront toujours consulter physiquement bibliothèques et collections des musées afin de préserver à la fois l'ambiance « si précieuse » de ces lieux, et la « connaissance intime des objets » propre à leur métier.

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