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Jeanne Dark, une pièce sur Instagram pour dénoncer le harcèlement scolaire

Dernière mise à jour : 20 janv. 2021

L’autrice et metteuse en scène Marion Siéfert utilise le réseau social pour sensibiliser au fléau du harcèlement malgré la fermeture des théâtres.

Helena de Laurens (Jeanne) dans le spectacle de Marion Siéfert, « _jeanne_dark_ ». MARION SIÉFERT
Helena de Laurens (Jeanne) dans le spectacle de Marion Siéfert, « _jeanne_dark_ ». ©MARION SIÉFERT

Elle s'appelle Jeanne, elle a 16 ans et elle est née à Orléans (Loiret), dans une famille catholique pratiquante. Sur Instagram, l'adolescente s'est donné le pseudo @_jeanne_dark_. Le point de départ ? Sa virginité, devenue sujet de railleries pour ses camarades. Des moqueries qui virent au harcèlement scolaire. L'adolescente bouillonne de l'intérieur et puis un soir, elle déballe tout sur son live Instagram :

« Voilà. En fait c’est que (...) depuis la rentrée, ça se passe pas très bien au lycée… J’ai pas trop d’amis. Quand y a un truc, je suis jamais invitée... Bref. C’est chiant. Et en plus... depuis quelque temps... y a des gens qu’ont commencé à se foutre de ma gueule. Au lycée et aussi sur Insta. Ça a commencé parce qu’ils ont vu que sur Instagram je m’appelle jeanne dark... et y a une meuf de ma classe qui a répété à tout le monde que je suis vierge. Et voilà... donc ils disent que je suis coincée. (...) Et comme je suis coincée, faut me décoincer, et pour me décoincer bah... faut me dépuceler. Ils m’appellent “cul tendu”. Et ils s’amusent à faire des trucs... genre ils vont me prendre en photo, sans que je m’en rende compte, et après poster la photo de moi trop moche sur Insta et commenter : “#jeannelapucelle”. Ils disent que je pue la vierge. Que ma chatte c’est un cimetière. Qu’il faut que je me fasse défoncer le cul une bonne fois pour toutes pour que je me détende. Qu’ils vont me faire couiner. Que des trucs comme ça. Tout le temps tout le temps tout le temps. Au début j’étais en mode : c’est pas grave - je me tais - je n’entends pas ces gens. Ils ne rentrent pas dans mon cerveau. C’est pas grave. Je ne dis rien. Ils sont débiles. Ça va passer. »


Dans un décor épuré imaginé par la scénographe Nadia Lauro, on ne voit que Jeanne, son mal être, ses pulsions, puis son éclosion. « C’est une adolescente qui souffre de ne pas être dans la norme et de ne pas avoir choisi sa différence, et c’est sur Instagram qu’elle parvient enfin à s’exprimer » explique Marion Siéfert, autrice et metteuse en scène de la pièce @_jeanne_dark_. La forme de la pièce de théâtre a longtemps questionné Marion Siéfert. « Au départ, j'ai pensé à un journal intime, mais il manquait une urgence », déclare-t-elle au cours d'une discussion avec un public très jeune, à l'issue de la première représentation.


Un smartphone miroir et objectif


Pour répondre à ce sentiment d'urgence, Marion Siéfert signe une pièce de théâtre hybride et inédite. Elle met en scène « Jeanne Dark » sur les planches tout en la retransmettant dans un live sur le réseau social Instagram. Rien ne serait possible sans la complicité d'Helena de Laurens qui offre une performance tout aussi inédite. La comédienne devient réalisatrice de son jeu : elle se filme, en selfie, en direct tout au long de sa prestation et intègre même dans la pièce les commentaires que les "Instagrammeurs" envoient tout du long. Pour Helena de Laurens, l'exercice « produit un jeu particulier », le smartphone devient « à la fois un miroir et un objectif ».

Le miroir est évolutif et suit le monologue de l'adolescente. Ses confidences sur ses blessures ou sa relation avec ses parents laissent peu à peu place à ses désirs, ses fantasmes et ses confidences "dark". Là réside tout l'intérêt de ce format pour Marion Siéfert : elle estime que « le live est le lieu où le personnage se sent protégé, où personne ne va lui couper la parole ».


Entre les quatre murs du théâtre, Helena de Laurens, muée en adolescente en pleine crise, s'adresse aux personnes qui la suivent sur Instagram et non pas au public en face d'elle. A travers son téléphone et « celles et ceux qui la regardent sur Instagram, Jeanne, parle à sa génération. » Des deux côtés de la scène, un écran se dresse et retransmet le live Instagram. Cette métathéâtralité offre un double niveau de lecture. « Je voulais donner l’impression qu’on est dans la tête de cette adolescente. Je voulais qu’on entende ses voix intérieures et qu’on ne soit pas juste en train de regarder de l’extérieur », explique Marion Siéfert. La question générationnelle s'invite aussi dans le débat. Le public porterait-il un regard adulte lorsque le "viewer" porte un regard plus adolescent ? Ce dernier peut interagir avec le personnage tandis que l'autre est simplement exclu et ne peut influer sur le monologue.





Native d’Orléans, 30 ans, issue d'une famille catholique pratiquante, Marion Siéfert dit s'être inspirée d'une partie de sa vie qu'elle ostracise pour imaginer cette pièce et apporte une réflexion profonde sur le rapport au corps sur les réseaux sociaux. « Instagram ne fait que prolonger le rapport totalement obsessionnel que le catholicisme entretient à l’image : dans les peintures religieuses, comme sur Instagram, il faut éveiller le désir sans jamais montrer un téton ou un sexe. Il faut respecter des interdits et des règles de pudeur tout en amenant le spectateur à adorer l’image et ce qu’elle représente. L’histoire de l’art religieux est habitée par cette tension : représenter le divin dans des corps, voiler et dévoiler, éveiller les sens pour encourager la piété. Avec Instagram, on se retrouve face à une forme mutante de l’image religieuse », explique l'autrice. À travers le personnage de Jeanne Dark, Marie Siéfert envoie au bûcher les démons de l'adolescence.

 

Dates à venir

du 22 au 23 janvier 2021 › Festival Parallèle (Marseille)

du 11 au 12 février 2021 › CNDC d'Angers (Angers)

du 18 au 26 mars 2021 › Théâtre National de Bretagne, Centre Dramatique National de Rennes (Rennes)

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