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Google se décide enfin à rémunérer les médias

Grand gagnant de la pandémie, le moteur de recherche, qui capte une partie de l’audience des médias en ligne, a décidé ce jeudi de leur reverser des revenus publicitaires.



Google est un acteur incontournable de l'information - Elijah Nouvelage / AFP

A l’heure où se succèdent les plans sociaux dans la presse, c’est un soulagement : Google et l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), qui représente 200 quotidiens nationaux et régionaux français, ont annoncé ce jeudi la signature d'un accord ouvrant la voie à la rémunération de la presse hexagonale par le géant du net. Selon les informations du Monde, l’Apig tablait en novembre sur un montant global d’environ 25 millions d’euros par an. Ce résultat, qui n’est certes qu’un point de départ, intervient après plus d’un an d’une âpre bataille, ralentie par la pandémie.


Et le jeu en vaut la chandelle : l’application du droit voisin est cruciale pour la santé financière de la grande majorité des titres de presse. Initié par une loi votée en mai 2019 et transposant une directive européenne, ce droit dit « voisin du droit d’auteur » est parfois qualifié de « droit voisin » : il vise un meilleur partage des revenus du numérique au bénéfice des éditeurs de journaux, en payant les médias lorsque Google reprend leurs contenus dans ses résultats de recherche (les titres et extraits d’articles ou les images).


Rien de plus normal a priori, sauf que depuis la création de “Google Actualités” en 2002, le moteur de recherche avait décidé de jouer selon d’autres règles : pas de rémunération au programme. Or, d’après les estimations de Romain Badouard, chercheur en information-communication à l’université Panthéon-Assas, 44% des internautes regardent le titre des articles sur Google sans jamais cliquer dessus. Ils ne se retrouvent donc pas sur les sites de médias, qui vivent souvent de la publicité présente sur leur propre site. « Leur contenu est donc utilisé gratuitement sans que Google ne répartisse les revenus publicitaires », résume Romain Badouard.


Des mois de chantage


Fin 2019, la presse française avait unanimement accusé le géant de bafouer cette directive aux airs pourtant salvateurs. Quelques jours après son entrée en vigueur, Google avait en effet décidé unilatéralement de moins bien référencer les journaux qui refuseraient de le laisser continuer à exploiter gratuitement leurs contenus dans ses résultats de recherche.


Jouissant d’un inquiétant monopole, l’entreprise avait remporté une première bataille grâce à ce chantage : la presse française, n'ayant guère le choix, avait obtempéré. D’autres avaient pourtant choisi de résister, notamment en Belgique : en 2011, Le Soir, La Libre Belgique et d'autres périodiques avaient disparu du site américain, du jour au lendemain, voyant ainsi s’effondrer leur trafic.


Pour le journalisme web, Google est donc devenu un mastodonte : la plateforme contrôle, sélectionne, classe, met en avant ou condamne à l’oubli… des milliards de liens d’articles avec son algorithme Page Rank. Avant d’arriver sur un site de média, la porte d’entrée des internautes, c’est Google. Les autres moteurs de recherche pèsent trop peu. « 93% des Français utilisent Google comme principal moteur de recherche, nous dit Romain Badouard, et à l'échelle de la planète, Google c’est 5,5 milliards de requêtes tous les jours ! ».


Encadrer les droits voisins


Le texte signé ce jeudi est donc un accord-cadre, pour calmer le jeu mais surtout respecter la loi : dès à présent, Google négociera des «accords individuels de licence» avec chaque média concerné pour couvrir les fameux droits voisins. En outre, les titres bénéficieront également de News Showcase, un programme récemment lancé par Google et dans lequel il rémunérera des médias pour une sélection de contenus enrichis.


Dans leur communiqué commun, l’Apig et Google ont salué « l'aboutissement de nombreux mois de négociations dans le cadre fixé par l'Autorité de la concurrence », alors que l’entreprise avait annoncé en novembre sur son blog que l’issue devrait être favorable. En effet, l’Etat scrute avec attention le dossier. La saisie par l’Apig de l'Autorité de la concurrence en avril 2020 avait fait tourner le rapport de force dans le bon sens : cette autorité gouvernementale avait ordonné à Google, par le biais de sa présidente Isabelle de Silva, de négocier «de bonne foi» avec les éditeurs, sous trois mois.

Mais ce texte prometteur n’est pas pour autant gage de prospérité immédiate : la rémunération des éditeurs sera calculée individuellement et « basée sur des critères tels que, par exemple, la contribution à l'information politique et générale, le volume quotidien de publications ou encore l'audience Internet mensuelle », peut-on lire dans le communiqué. Pour l’heure, les détails restent sibyllins.


Un accord qui demande encore confirmation


Cet accord-cadre, d'une durée de trois ans, ne couvre pas non plus toute la presse écrite française : les agences de presse, dont l'Agence France-Presse, sont toujours en négociation. « Je me réjouis que la reconnaissance du droit voisin se matérialise pour la première fois en Europe et nous attendons, maintenant que le premier pas, qui est toujours le plus difficile, est fait, que Google continue sur sa lancée et étende cette reconnaissance aux autres acteurs éligibles, dont les agences d'information », a commenté ce jeudi le PDG de l'Agence France-Presse, Fabrice Fries.


Si le montant global de ces droits voisins reste encore à définir, l’Apij devra probablement se contenter d’un peu plus que les 20 millions par an du fonds pour l’innovation créé en 2013 par Google, qui soutient déjà la presse.



Si l’Apij espérait fin 2019 obtenir 150 millions d’euros par an de la firme américaine, elle devrait se contenter de 25 millions. C’est un peu plus que les 20 millions par an du fonds pour l’innovation créé en 2013 par Google, qui soutient déjà la presse.


Ce qui est sûr, c’est que le champion des GAFA a de quoi payer : au-delà des attentes et en partie grâce aux confinements, son chiffre d’affaires trimestriel a encore gonflé de 14% au 3e trimestre 2020, pour atteindre… 46 milliards d’euros. De quoi faire en sorte qu’en pleine période d’instabilité, la presse en ligne puisse retrouver ses droits (voisins).

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